Duplication du pouce :

Dr Arielle SALON*

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La duplication du pouce est une des malformations congénitales de la main les plus fréquentes après la syndactylie. Elle est souvent isolée et unilatérale. Cependant, elle peut faire partie de syndromes, auquel cas elle est souvent bilatérale et peut être associée à une désaxation ou une duplication des gros orteils.

Les duplications du pouce peuvent intéresser différents étages du pouce, et peuvent se situer à un niveau articulaire, ce qui rend leur traitement d'autant plus délicat.
La classification par niveau de duplication (de Wassel) permet aux chirurgiens de codifier les techniques de réparation et de les évaluer à long terme sur des critères précis.

Les problèmes ne sont pas les mêmes pour reconstruire un ongle double, ou stabiliser une articulation dupliquée que l'on a séparée, ou encore traiter des anomalies d'axe et recentrer des tendons…


Duplication de la deuxième phalange avec ongle commun dite Wassel 1


Duplication au niveau articulaire interphalangien dite Wassel 2 avec deux phalanges divergentes


Duplication complète depuis l'articulation métacarpo-phalangienne Wassel 4, avec deux pouces désaxés en Z

Il est important d'informer les parents que sauf en cas de pouce dupliqué rudimentaire, (c'est à dire flottant) aucun des deux pouces n'est normal : l'intervention vise à faire un pouce unique, avec des articulations bien axées, des tendons bien centrés, et un potentiel de croissance intact.

Quel bilan faire ?

Il s'agit souvent d'une découverte à la naissance, non dépistée à l'échographie obstétricale.
Lors de la première consultation pour une duplication du pouce à la sortie de la maternité, on tente en général de dédramatiser, car l'absence de diagnostic anténatal n'entraine pas de perte de chance particulière pour l'enfant. Le chirurgien fait un interrogatoire complet pour savoir s'il y a des cas similaires dans la famille.
Les duplications unilatérales sont souvent isolées, c'est à dire sans autre atteinte chez l'enfant concerné, et sans histoire familiale. Une check-list systématique est pratiquée : examen attentif des muscles et des tendons du pouce dupliqué, des deux os de l'avant bras, examen complet général de l'enfant, radiographies des deux membres supérieurs, échographies cardiaque et rénale. En cas de forme bilatérale, le bilan est plus poussé, et une consultation de génétique est souvent demandée. Cela ne changera rien bien sûr pour l'enfant, mais permettra de savoir si son anomalie peut se reproduire dans la future fratrie, ou s'il peut la transmettre à sa descendance.

Le traitement chirurgical :

Il n'est pas utile d'opérer trop tôt, pour des raisons anesthésiques, et parce que l'enfant utilise la pince fine pulpo-pulpaire avec le pouce vers le huitième mois seulement. L'intervention a souvent lieu autour de 9 à 12 mois, mais peut être pratiquée plus tard avec d'aussi bons résultats.
Dans les formes distales, le meilleur pouce est souvent assez bien axé, et l'objectif principal est la reconstruction de l'ongle et du galbe de la pulpe.

Plus la duplication est proximale (proche de la base du pouce) plus les problèmes d'axe sont importants. Il est très important de régler tous les problèmes dans le premier temps opératoire : réaxer les phalanges du pouce principal, stabiliser les articulations pour redistribuer les ligaments après la suppression de l'un des pouces, recentrer les tendons souvent insérés de façon anormale sur les phalanges, et réaménager la peau sans créer de rétraction avec la croissance.


Extrait de Duplications du pouce, ref 1)

Enfin dans certaines duplications (dites Wassel VII), l'un des pouces est à trois phalanges, et il peut s'associer des malformations de la première commissure, des anomalies tendineuses, etc. Il faut à la fois traiter la duplication et faire du pouce restant, un rayon à deux phalanges fonctionnelles. Ces formes proximales complexes sont les plus difficiles à corriger, et il n'est pas rare qu'une reprise chirurgicale soit nécessaire à une étape ultérieure de la croissance (voir ref. Triphalangie).

 

Les points forts du traitement :

Plusieurs décennies de pratique chirurgicale spécialisée dans la main de l'enfant, et la revue des résultats avec du recul et en fin de croissance ont permis d'identifier les problèmes et d'améliorer les techniques.

Les cicatrices sont source de rétraction avec la croissance (brides). Ces brides peuvent être responsables de déviations articulaires ou de réduction de la mobilité. Le tracé des incisions est donc très important, le chirurgien spécialiste les oriente de façon à ce qu'elles ne rétractent pas avec la croissance et soient les plus discrètes possibles, et pour que les ongles et les pulpes paraissent naturels. Un autre point difficile est d'éviter les déviations secondaires parce que les articulations sont initialement mal orientées, ou surtout parce que les tendons ne sont pas bien centrés. Par exemple un tendon fléchisseur de pouce qui n'est pas inséré strictement au milieu de la phalange, la fera dévier avec la croissance. Or dans les duplications, les tendons sont souvent bifides, divisés en Y et lors de la séparation il faut bien veiller à ce que le tendon du pouce préservé ne soit pas dévié latéralement (vers le pouce supplémentaire).



Bride liée à des cicatrices verticales, avec désaxation secondaire, et une articulation oblique par anomalie d'insertion du fléchisseur du pouce sur la phalange terminale.

Le traitement actuel favorise plutôt le recentrage précoce et systématique du tendon fléchisseur du pouce, que des ostéotomies (corrections osseuses) étagées comme sur le schéma théorique ci dessus. En effet si le tendon est bien au milieu, la poussée de croissance se fera dans l'axe, alors que les ostéotomies corrigent à l'instant de l'intervention, mais n'empechent pas une déviation secondaire avec la croissance, et entrainent de surcroit des raideurs articulaires liées au brochage et aux adhérences des tendons sur le cal osseux.

Dans les duplications compliquées (associées par exemple à une tri-phalangie (ref 4), ou dans les formes inclassables), une meilleure compréhension des mécanismes malformatifs permet aussi d'améliorer le traitement des formes difficiles.
On sait par exemple que le pouce, étape ultime de l'évolution de la main chez l'homme, est au carrefour du plusieurs mécanismes malformatifs : duplication, fusion avec l'index, hypoplasie.

Dans la forme suivante, très proximale, le meilleur pouce est proche d'un index : il n'a pas de faculté d'opposition et la commissure qui le sépare des autres doigts longs n'est pas assez développée. Si l'on ne règle pas tous ces problèmes dès le premier temps, le pouce ne sera pas fonctionnel. Cette duplication complexe nécessite à la fois de recréer une première commissure et de restaurer la fonction d'opposition du pouce, en plus la cure de la duplication…


Il est donc important que les duplications du pouce soient opérées et suivis par des chirurgiens spécialistes habitués à ces particularités et à la pratique pédiatrique. Cependant les résultats fonctionnels et esthétiques sont souvent très satisfaisants compte tenu de ces précautions.

Références :

Duplications du pouce, G Dautel, S. Barbary
Chirurgie de la Main, 27S (2008) S82-S99

The Results of surgery for polydactyly of the thumb. HD Wassel
Clin Orthop Rel Res, 1969, 64, 175-93

Long term results of surgical treatment of thumb polydactyly, T. Ogino et al J Hand Surg Am, 1996, 21, 478-86

Tri-phalangies du pouce, A. Salon
Chirurgie de la Main, 27S (2008) S71-S81

Duplications du pouce 1,2 et 4
in « Orthopédie pédiatrique : membre supérieur », dirigé par P. Journeau et J. Cottalorda
Elsevier Masson éditeur, 2008, Paris, 240 p.

 

* Dr Arielle SALON, Chirurgien de la Main, Hop Necker Enfants Malades,
Hop. Raymond Poincaré de Garches, Clinique de l'Enfant : Saint Jean de Dieu Paris